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Des stations de ski construites pour l’hiver. Hors-saison, quand la neige manque et que les pylônes rouillent, d’autres usages deviennent possibles. Conçues pour le passage, ces architectures pourraient accueillir autre chose qu’un tourisme en déclin. Un autre rythme. Une autre manière d’habiter. Entre reconversion technique, réappropriation des formes et rémanence des vestiges, une hypothèse pour les futurs de la montagne.

À l’origine, ces stations de ski furent pensées comme des dispositifs. Des ensembles techniques organisés autour d’une fonction unique : accueillir, capter, redistribuer. Neige, flux, vacanciers. Le tout selon une temporalité courte, intense, saisonnière. L’hiver comme moteur. L’été comme tolérance. Et le reste de l’année comme creux, parenthèse, oubli.

L’architecture suivait : modules préfabriqués, galeries chauffées, linéaires de studios empilés. Peu de place pour le hasard, pour la vie qui s’installe, qui traîne, qui s’attarde. Les formes modernistes épousaient une logique d’usage précis : accueillir sans attachement, héberger sans vraiment habiter.

Ce que l’on voit aujourd’hui, dans nombre de ces stations, c’est un système qui persiste par inertie. Des infrastructures vieillissantes, des équipements surdimensionnés, des flux réduits, des réponses techniques pour pallier l’absence de neige. La station fonctionne encore, mais dans un entre-deux. Ni vraiment rentable, ni franchement abandonnée. Elle devient lieu d’attente. Et c’est peut-être là que tout commence.

Si l’on suspend un instant l’idée de “reconversion”, avec ses imaginaires de marketing territorial, et que l’on se demande ce qu’on pourrait faire ici - non pas pour attirer, mais pour rester ? La station devient simplement village.

Non pas au sens d’un village d’époque, folklorique ou restauré, mais dans sa fonction première : accueillir la vie. Pas la vie spectaculaire, événementielle, mais la vie ordinaire, qu'on connaît bien en dehors des vacances. Des gens qui travaillent dans la proximité, cultivent, fabriquent, vivent là, des enfants qui vont à l'école, des retraités qui discutent sur une ruine de télésiège. Une forme de permanence qui recompose dans un lieu initialement pensé pour l’éphémère.

Cela suppose de renverser l’usage, pas nécessairement les bâtiments. La structure est là : logements, équipements, connexions. Ce qui manque, ce sont les temporalités, les usages, les intentions. Il faudrait rediriger le chauffage, ouvrir les locaux techniques, désaisonnaliser les commerces. Peut-être même laisser certaines pentes devenir friches. Inventer d’autres mobilités. Cultiver ce qui peut l’être.

Cela suppose aussi de faire avec ce qui existe. Avec le béton des années 60. Avec les perspectives interrompues. Avec les traces. Accepter qu’il n’y ait pas à reconstruire un nouveau monde, mais à continuer autrement. En détournant, en réaffectant, en réimaginant. En laissant, dans l’espace même de la station, une place pour ce qui n’avait pas été prévu.

Faire village, c’est moins revenir à un modèle qu’ouvrir un espace de transition. Où l’on puisse expérimenter des formes de vie désynchronisées du tourisme. Où l’hiver ne dicte plus tout. Où la montagne cesse d’être un produit. Où l’on ne monte plus pour profiter, mais pour habiter.

Cela demande du temps. Une pensée du long terme. Des formes d’organisation, de solidarité, de désirs partagés. Mais cela ne demande peut-être pas tant de moyens qu’on le croit. Ce qui coûte, souvent, c’est de faire revenir la neige. Habiter coûte moins cher.

Et puis, il resterait les pylônes. Les mâts des télésièges, les gares de départ, les câbles suspendus entre deux crêtes. Tous ne seraient pas démontés. Certains resteraient là, dressés dans le paysage comme les témoins d’un âge révolu - celui de l’hiver mécanisé, du loisir standardisé, de la montagne transformée en circuit.

Avec le temps, ils changeraient de fonction. Non plus supports de traction, mais balises silencieuses. Points fixes dans un paysage en recomposition. On les contournerait en marchant. On les utiliserait peut-être comme repères topographiques, comme ombres familières. On y lirait autre chose : une histoire d’effort technique, d’enthousiasme collectif, d’oubli aussi.

Leur présence dirait simplement : ici, on montait. On descendait. Et puis un jour, on a fait autrement.

Les stations, devenues villages, conserveraient ainsi les strates de leur passé. Non pas comme musée à ciel ouvert, mais comme sol vivant. Une archéologie sans fouilles, à même la surface. Où le béton, le métal et l’herbe cohabitent, sans nostalgie, sans effacement.

La montagne, alors, ne serait plus un décor pour les saisons. Elle deviendrait territoire. Un lieu traversé, habité, repensé. L’espace d’un basculement.

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